22 décembre : une soirée inoubliable
Ce vendredi 22 décembre, Isabelle, Hugues et Eliane accueillaient les invités comme tous les autres résidants, mais avec une émotion un peu plus forte. Pour eux ,la diffusion de l’émission et du documentaire de Mélissa Theuriau n’était pas anodine. Tous trois avaient en effet accepté de témoigner et de raconter leur parcours devant la caméra, cet été. Avec une impatience mêlée d’inquiétude, chacun d’eux attendaient de se découvrir à l’écran.
Il est un peu plus de 21 heures quand toute l’assemblée s’installe devant le téléviseur, les yeux rivés sur l’écran. Même Minette, l’un des chats de la Pension, s’est réveillée. Ce soir n’est pas un soir comme les autres.
Isabelle s’est installée à la Pension il y a près de 12 ans. Aujourd’hui, à 37 ans, elle a trouvé une famille après avoir vécu seule, sans famille ni ami, de familles d’accueil en foyer dès la petite enfance.
« Je suis un peu nerveuse, je ne sais pas comment les gens vont me voir ce soir… surtout mes frères et sœurs de la Pension. Comment vont-ils réagir ? Et moi, comment je vais me voir ? Il y a tellement de choses qui ont changé pour moi depuis que je vis ici. »
« Je sais bien que cela ne remplacera jamais un père et une mère, mais ici j’ai trouvé un esprit de famille qui me fait du bien. Je suis heureuse, je fête Noël et les anniversaires, je m’inquiète pour les résidants qui sont vraiment mes frères et mes sœurs. Quand on n’a pas le moral, on s’aide les uns les autres. C’est la première fois de ma vie que je suis dans un lieu où l’on s’aide.
Ici, j’ai appris à m’accepter moi ; à accepter ma personne. Avant, j’étais incapable de me regarder dans une glace."
« Ce soir, je me suis dit : « tu es importante pour toi et pour les autres »
"Avant, je ne m’aimais pas et je n’aimais pas les autres. Il faut du courage pour parler devant une caméra, mais je l’ai fait pour aider les autres qui sont en galère. C’est important qu’ils voient que l’on peut s’en sortir, que ce n’est pas inaccessible. Il y a toujours de l’espoir. Mon espoir à moi, c’est ici et maintenant et pour toute la vie.
À la Pension, j’ai découvert la vie et je me suis découverte. Je voudrais que ma vie serve à donner du courage aux autres, je voudrais leur dire qu’il faut réagir et ne pas désespérer.
J’ai connu la rue, les mots durs qu’on entend et qu’on vous dit. C’est encore dans ma tête, mais dans ma vie, ici, ça n’est plus là. »
Les rires fusent au fil des sketches et les témoignages de mal-logés déclenchent des commentaires. Devant celui de Jean-François, une résidante s’exclame : « C’est tellement vrai ! La rue, on croit que ça peut pas arriver à tout le monde… » et puis, c’est le témoignage de Paul : « Oui, c’est bien vrai ça, avoir un lit et prendre une douche, c’est le plus important. »
Entre les coupures de publicité, les résidants se servent au buffet, sortent pour fumer. Mais Isabelle ne bouge pas.
C’est maintenant l’heure du documentaire, Régine, la responsable de la Pension, vient discrètement s’asseoir entre Isabelle et Eliane, 68 ans, la doyenne de la maison ; elle aussi interviewée dans le documentaire. Derrière elles, Hugues s’est installé un peu en retrait des autres. Il réside à la Pension seulement depuis le 18 septembre et du haut de ses 59 ans, il se sent revivre. Mais pour l’instant, l’émotion le submerge.
« Je suis assez ému, oui, ça va me faire un choc de me revoir comme j’étais avant. J’ai vraiment beaucoup changé déjà. Avant, je ne souriais jamais, j’étais renfermé, j’avais peur et je vivais dans l’incertitude. »
« Je ne suis plus le même »
« Mon visage dans le reportage, ça n’est plus moi. Ici, je suis heureux, j’apprends plein de choses, j’ai des amis et on m’accompagne. En plus, ici, je me sens à l’abri et je sais que je peux rester aussi longtemps que je veux. Je vois bien que je fais des progrès. Ici, personne ne vous recadre. Régine est là pour dire ce qui est bien et ce qui ne va pas, mais personne ne vous juge. Cela fait vraiment du bien ; de là où on vient, on a assez été jugé… »
Hugues est allé à Paris le 20 décembre pour raconter son parcours au micro de Marc Olivier Fogiel, sur RTL. Régine l’a accompagné et l’a entendu dire des choses qu’il n’avait encore jamais dites.
« J’aimerais que ma vie serve à donner du courage à ceux qui en ont besoin. Donner de la force pour se battre, et de l’espoir aussi. »
Les images défilent. Pas un bruit dans la salle lorsque les résidants et les amis découvrent le témoignage d’Amani. Tout le monde applaudit lorsque l’on apprend que la famille est désormais relogée et que l’école des enfants est maintenant à 10 mn à pied. Puis c’est à nouveau la Pension de famille de Woippy que l’on retrouve à l’écran. À nouveau, le silence est total.
Eliane voit défiler les images et s’entend raconter sa vie. Les larmes coulent sur son visage et Régine prend délicatement sa main sur ses genoux. Isabelle est à côté, captivée par ce qu’elle voit et ce qu’elle entend. Chacun découvre l’autre, apprend ce qu’il ne savait sans doute pas ; comprend le chemin parcouru et partage l’émotion. Ce soir, les souvenirs que l’on découvre ne sont pas anodins et chacun en connaît le poids.
« Ce sont tous des héros »
C’est ce que Régine vient de dire en parlant de ses résidants devant la caméra. Eliane en fait partie. Mère de 7 enfants qu’elle n’a jamais revus après leur placement à la DDASS, elle vit à la Pension depuis 15 ans.
Ce matin, au réveil, après avoir fait visiter son petit studio, elle confie : « Sans la Pension, j’aurais pu me suicider. Je n’avais plus rien. Je ne sais pas si j’ai bien parlé hier soir, j’ai un peu honte. Cela m’a vraiment fait quelque chose de me voir à la télévision, mais c’était bien de parler. On n’est pas éternel, je ne sais pas si je reverrai mais enfants, mais ici j’ai de l’espoir et je suis bien. »
Après la soirée du 22 décembre, les résidants ont préparé et fêté Noël tous ensemble, sans Laurie et Régine, les hôtes de la Pension. Dès le mois de janvier, ils reprendront leurs activités au marché, les cours de théâtre, les sorties et bien sûr aussi, toutes les tâches ménagères qui font le quotidien de la Pension. Au fil des jours, chacun poursuivra sa reconstruction et celle des autres. La porte de la Pension sera toujours ouverte pour partager ce que l’on vit, ce que l’on est.