Au nom de l’abbé Pierre
Il y a dix ans, l’abbé Pierre nous quittait. Personnalité préférée des Français dans les années‑2000, il avait réussi à entretenir l’élan de solidarité auquel il avait donné naissance en 1954.
Il y a dix ans, l’abbé Pierre nous quittait. Personnalité préférée des Français dans les années 2000, il avait réussi à entretenir l’élan de solidarité auquel il avait donné naissance en 1954. Si « la voix des sans-voix » s’est éteinte, la « guerre à la misère » s’est toujours poursuivie. Citoyens, Collectifs, associations… depuis 2007, la relève n’a pas faibli, comme autant d’échos de son Appel.
« On nous aide beaucoup et comme ça, on a une vie presque normale. 6 ans après avoir fui l’Arménie, je ne manque de rien ici et mes enfants sont à l’abri. » Père de 3 enfants, V. vit à Rodez dans un appartement avec sa famille et ses parents. Après avoir vécu deux ans en foyer dans 7 m2, la route de l’exil l’a mené avec les siens jusqu’à l’association « Jamais sans Toit », en 2015. Depuis, ses 3 enfants sont scolarisés, lui et sa femme sont bénévoles à plein temps. Peintre en bâtiment, il a participé à la rénovation de la salle de spectacle locale et refait entièrement avec son père le logement qu’ils occupent. « En 2 mois, c’est devenu chez nous. Ici, même si ça n’est pas mon pays, j’ai des amis. Sans amis, on ne peut pas avoir d’espoir. Et je dois donner de l’espoir à ma femme et mes enfants. » Monsieur V. relève ce défi au quotidien grâce aux bénévoles de l’association qui l’accompagnent, tout comme les 15 autres familles étrangères installées dans les villes alentour. Ils sont environ 400 à apporter leur soutien financier à l’association et parmi eux, une centaine donne également du temps. « Notre idée est simple. On ne peut pas laisser des familles sur le bord de la route et le 115 n’est pas une solution pérenne. Il faut pouvoir se poser pour reconstruire sa vie », explique Claude Ollive, l’un des animateurs de « Jamais sans Toit ».
Depuis 2 ans, les dons permettent à cette petite association de louer à des prix très abordables, des logements que lui proposent particuliers, associations, mairies et paroisses. Loyer, charges, transport… il faut environ 800 euros/mois pour accompagner une famille avec 3 enfants. À Marcillac, Decazeville ou Espalion, l’association a prouvé que l’équation était possible et la Fondation apporte son soutien. « On a montré qu’on était rigoureux dans notre gestion et que nous étions motivés. Avant chaque installation, nous constituons une équipe qui accompagne, c’est primordial. » Des groupes de travail sont constitués pour entourer au mieux les familles. « Cela nous implique beaucoup. Il faut réfléchir à la façon dont on leur parle, les conseiller pour gérer un logement, un budget. Et ne pas les laisser dans l’assistanat, les aider à s’impliquer dans la vie locale. »
Vivre ensemble
Zoé, bénévole de la première heure, passe presque chaque jour rendre visite à E., une jeune maman russe de 3 enfants qui pourrait être sa fille. La famille vit à Nuces, tout près de Rodez, dans un logement rénové entièrement : « Ils ont fait tous les travaux et le jardin est cultivé, il y a même un poulailler maintenant. Ils m’apportent énormément, ils sont presque devenus ma famille. Il faut vivre de tels échanges ! » En toute confiance, E. prend la parole à son tour : « Je me suis occupée d’un vieux monsieur de 95 ans pendant 7 mois, j’ai fait la cuisine, le ménage… sa fille, très reconnaissante m’a donné du travail », avoue-t-elle discrètement. « À chaque fois, nous cherchons à favoriser le dialogue et non pas le repli sur soi. » Aujourd’hui, l’entraide aux familles est devenue une réalité partagée bien au-delà des membres de l’association. « Des élans de toutes sortes viennent de tous bords. Mairies ou citoyens, nous avons toutes les étiquettes ! » De la signature des baux jusqu’à l’apprentissage de la langue, la solidarité tisse sa toile aveyronnaise sans que la puissance publique n’intervienne. Il y a une raison à cela : « Nous ne sommes pas dans le laissez-faire mais dans le “faire avec” responsable » ajoute Claude Ollive (photo ci-dessus).
Plus au sud, dans les quartiers aujourd’hui huppés de Marseille, une bâtisse du XVIIIe siècle accueille depuis le 17 octobre dernier quelques compagnons Emmaüs et bientôt 2 familles réfugiées de guerre. Dans cette ville de migrations vieille de 2 600 ans, où les extrémismes grandissent, le combat de l’Abbé se poursuit : « Nous avons restauré la fermette pour loger ceux qui souffrent. Nous voulons accueillir sans condition, comme il le faisait. Nous avons une assistante sociale à temps plein sur la communauté et un psychologue chaque lundi. On peut donc faire du soutien psychologique pour les personnes traumatisées qui ont tout perdu en fuyant la guerre », précise Kamel Fassatoui, l’un des 4 responsables de la communauté de Pointe Rouge. « La fermette, c’est aussi une chance pour nous de faire évoluer l’accueil. Depuis 7 ans, nous avons des femmes, et bientôt nous aurons 2 familles. Les parents auront le statut de compagnons et travailleront avec nous. » Rénover des logements vacants ou décatis quand trop peu se construisent ; rendre service et donner du sens à la vie quand l’administration a tout bloqué… Les initiatives se multiplient et le plus souvent, quelques bonnes volontés suffisent pour que la solidarité se propage.
Priorité politique
L’année du décès de l’abbé Pierre, Augustin Legrand, dénonçait le scandale des personnes à la rue à sa manière, en installant 250 tentes sur les quais de la Seine. Dans la foulée, il crée l’association « Les Enfants du Canal » pour assurer l’hébergement et le logement de sans-domicile installés au canal Saint-Martin. Il rencontre aussi les principales associations pour fédérer les forces qui luttent contre l’exclusion. « Il a initié la création du Collectif des Associations Unies (CAU), il a créé une force d’interpellation et de sensibilisation », note Claude Chaudières, administrateur de l’Uniopss. « Très rapidement, le Gouvernement nous a reçus. Et juste avant la 1re nuit solidaire pour le logement organisée en 2008, le Premier ministre nous annonçait la création de la Dihal, instance de concertation entre le Gouvernement et le CAU. » Première requête, l’humanisation des centres d’hébergement d’urgence. Puis l’élaboration d’un plan d’action pour l’hébergement, « Le logement d’abord », pour arrêter le va-et-vient des personnes d’un dispositif à l’autre. « Nous avons eu 5 ministres du Logement, et avec chacun, le Collectif a mené des actions et porté un discours politique. »
Dès 2010, le Collectif regroupe 34 associations, il rencontre les ministres ou administrations en charge du logement, il est aujourd’hui régulièrement auditionné au Parlement, notamment sur le budget du logement. Ces derniers mois, le Collectif a beaucoup œuvré pour faire entendre la voix de tous les sans-voix : « le débat qui animé notre pays autour des réfugiés ne doit pas conduire à opposer les publics : migrants et sans domicile ne doivent plus être contraints de vivre à la rue et impérativement se voir proposer des solutions dignes », rappelle Florent Gueguen, co-porte parole du collectif avec la Fondation Abbé Pierre et directeur général de la FNARS (Fédération des acteurs de la solidarité). Pour conforter son combat, dans le cadre de la campagne présidentielle, le CAU s’est allié en janvier 2016 au Collectif « Alerte ». De fait, le chantier reste important quand on voit que près de 10 ans après le vote de la loi Dalo, 60 000 personnes reconnues prioritaires ne sont pas relogées. « Dans 14 départements les plus concernés par le Dalo, le taux de décision favorable a chuté de 8 % entre 2013 et 2015. L’accès aux droits est effectivement devenu plus restrictif », note Marie-Arlette Carlotti, Présidente du comité de suivi Dalo.
Malgré ce plaidoyer associatif, les avancées législatives restent rares et fragiles. 3,8 millions de personnes souffrent encore de mal-logement et la pénurie de logements accessibles dans notre pays, 6e puissance mondiale, est indéniable. Si l’Appel de l’abbé Pierre reste dramatiquement d’actualité, chaque réponse humaine qui lui est apportée constitue aujourd’hui le plus bel hommage.