« Elargir le RSA, un investissement social nécessaire »
Antoine Dulin est Vice-Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteur de plusieurs avis du CESE sur l’insertion et les droits des jeunes.
Quel regard portez-vous sur leur situation des jeunes aujourd’hui ?
La crise du Covid touche massivement les jeunes et a exacerbé la précarité qui était déjà la leur, mais que l’on ne voyait pas du fait de l’existence de ce que j’appelle « l’économie de la débrouille », les petits boulots, les contrats d’intérim… À Lyon, pendant le confinement, 4 000 étudiants ont fréquenté les épiceries sociales et solidaires et 95 % d’entre eux étaient inconnus de ce réseau d’aide alimentaire. La crise sanitaire a révélé la grande précarité des moins de 25 ans qui sont depuis longtemps ignorés des politiques publiques. N’oublions pas que notre protection sociale est construite depuis l’après-guerre sur la solidarité familiale (citons entre autres la demi-part fiscale, les allocations familiales…). Mais quand celle-ci ne peut pas fonctionner ? On l’a bien vu avec cette crise, des familles très modestes n’ont pu répondre à leur obligation alimentaire et de nombreux jeunes, entre 16 et 25 ans, se sont retrouvés totalement démunis.
Ce qui est problématique en France, c’est que depuis 20 ans, on laisse sur la route des jeunes qui n’ont ni aide familiale ni aide publique et que l’on reproduit cette inégalité sociale année après année. Bien sûr, la solution à la précarité des jeunes, c’est l’emploi. Mais il faut savoir qu’aujourd’hui, un jeune trouve son 1er emploi en moyenne à 27-28 ans. Dans les années 90, la moyenne était de 22 ans ½. Le vrai problème qu’il faut résoudre aujourd’hui, c’est comment réduire ce parcours du combattant que connaissent certains et qui n’a plus rien à voir avec le parcours linéaire que les jeunes pouvaient avoir dans les années 70. Dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, l’obligation de formation qualifiante jusqu’à 18 ans sur laquelle j’ai travaillé est un des leviers à actionner. Mais il n’est pas suffisant.
Vous évoquez l’importance de l’emploi. C’est justement l’argument de l’Etat qui refuse l’élargissement du RSA aux moins de 25 ans au prétexte qu’il favorisera l’assistanat.
Non. Rien ne prouve que le RSA est désincitatif à l’accès à l’emploi. Le RSA est un revenu de solidarité, un filet de sécurité nécessaire. Il faut absolument aujourd’hui stopper la reproduction des inégalités sociales et l’élargissement du RSA aux jeunes de moins de 25 ans est un moyen d’action. Rappelons ici que depuis des années, on multiplie les dispositifs en faveur des jeunes mais, depuis 1988 et la création du RMI (qui a précédé le RSA), les jeunes n’ont eu accès à aucun droit, aucune allocation. Or aucun dispositif ne peut fonctionner et être efficace s’il n’est pas couplé à une allocation. On ne peut pas s’occuper de son avenir si on n’a pas de quoi se loger et se nourrir. Il faut savoir que la France est l’un des derniers pays d’Europe à ne pas offrir un revenu minimum aux jeunes. Dans les pays nordiques, une allocation d’autonomie est versée dès 18 ans.
L’élargissement du RSA aux moins de 25 ans est un investissement social qui doit permettre aux jeunes en situation de précarité de pouvoir s’inscrire dans un parcours d’accompagnement et d’insertion. Nous l’avons vu avec la garantie jeunes qui assure une formation et une allocation aux 16-25 ans pendant un an. 50 à 60 % de ses bénéficiaires s’en sortent, mais elle laisse encore trop de jeunes sur le bord de la route car elle est limitée dans le temps et qu’elle ne garantit pas l’accès à d’autres droits. Alors que le Gouvernement est capable de penser une loi sur le 4e âge et la dépendance, il doit être en mesure de penser la transition vers la vie active et l’accompagnement des jeunes, qui sont aujourd’hui parmi les plus précaires. Répondre à la précarité des jeunes, c’est aussi répondre à la question de la solidarité intergénérationnelle dans notre société.