Quartiers populaires, cœur battant de la République
5, 5 millions de personnes vivent dans 1 514 Quartiers prioritaires de la politique de la ville
Citoyenneté et solidarité. Au cœur des quartiers populaires, des habitants incarnent ces valeurs pour lutter contre l’exclusion et la pauvreté.
« La Mairie de Wazemmes a été endommagée ; nous, on n’a rien eu. Les jeunes sont restés chez eux, encadrés par leurs parents », précise Driss Farahy, directeur du « Lavoir », une association fondée il y a plus de dix ans dans le quartier du Faubourg de Béthune, aux portes de Lille. Au « Lavoir », on peut laver et sécher son linge à moindre prix, mais aussi se poser, discuter, échanger. Une bibliothèque, un espace-jeux pour les enfants, des ateliers de sensibilisation citoyenne et une aide pour les démarches administratives… voici tout ce que l’on peut trouver dans l’espace de convivialité qui jouxte la laverie. Aujourd’hui, « Le Lavoir » compte 1450 adhérents. Lorsqu’il a ouvert en 2012, ils étaient une soixantaine. « Nous avons d’abord répondu à un besoin des habitants très modestes et sous-équipés, faute de moyens et de place chez eux. Ici, on lave et on sèche 5 kg de linge pour 2 euros. Pour les familles, 60 euros par mois, c’est déjà une somme considérable. Mais ce n’est pas tout, on créait du lien, on cherche à réduire l’isolement et à favoriser l’insertion des habitants en difficulté », précise Driss, à la tête de ce qu’il appelle « la petite entreprise familiale ».
Depuis 2021, en effet, le « Lavoir » a obtenu l’agrément de chantier d’insertion et 12 personnes éloignées de l’emploi y travaillent. « Le Lavoir ne cesse de se développer, on s’installe aussi dans le quartier de Lille-Moulins où 6 personnes en insertion vont nous rejoindre. Nous accompagnons maintenant les habitants sur de nombreux sujets, qui vont de la garde des enfants à la transition énergétique ! Je suis toujours sur place pour faire le lien avec les services publics, pour aider chacun à trouver une solution à son problème. L’objectif, c’est que les habitants deviennent autonomes et s’impliquent dans la vie du quartier », complète Driss, épaulé par une accompagnatrice socio-professionnelle qui fait partie de l’équipe depuis peu. Potager aménagé et récoltes partagées au pied des immeubles ; séjours et vacances organisés avec le centre culturel ou autofinancés par les habitants pendant l’été, ferme urbaine… les liens se tissent partout et la dynamique de l’insertion économique et sociale des habitants porte désormais ses fruits au-delà du quartier. « Il y a de plus en plus d’échange et d’entraide. Les bons plans et les initiatives sont partagés tout le temps. Il y a une vraie solidarité et une mobilité de quartier. Le tissu associatif s’est constitué en dix ans et maintenant, il est bien complet et il répond à tous les besoins des habitants. Sur le terrain, on se relaie, les partenariats sont forts. » Des partenariats qui se sont également tissés au fil du temps avec les Mairies alentour, y compris celle de Lille. « On est reconnu pour ce que l’on fait, on est crédible car on aide les habitants de manière globale. En juin dernier, on a discuté avec les mères de famille ; on était dans la rue et au centre social pour dialoguer et anticiper. Faire le lien tous les jours, effectuer des petits gestes quotidiens, ça donne des résultats et ça montre que l’on peut agir. C’est légitime d’être en colère, de vouloir défendre ses droits, mais il faut utiliser les bons moyens. »
Libérer la parole
Depuis près de 30 ans, la Fondation est présente dans les quartiers populaires et soutient des dizaines d’associations qui agissent pour et avec les habitants, là où l’Observatoire des inégalités notait encore l’an dernier un taux de pauvreté de 65 % dans les 10 quartiers les plus pauvres. Pourtant, l’État a mis des moyens depuis vingt ans pour réhabiliter ces quartiers autrefois appelés « zones urbaines sensibles », avec la création de l’ANRU qui a engagé entre 2004 et 2020, 12 milliards d’euros dans 600 quartiers abritant 4 millions d’habitants. Mais la rénovation urbaine a le plus souvent privilégié le bâti, sans prendre en compte les habitants. « On a construit beaucoup ici et il y a de plus en plus de familles. Mais on n’a pas pensé à consacrer des lieux aux habitants : un centre social et un centre de prévention pour les jeunes, ouverts seulement à certains horaires, c’est trop peu. Les logements sont trop petits pour se retrouver et les bancs au pied des immeubles ont été supprimés », note Yamina Aissa Abdi, ancienne habitante du quartier des Izards, à Toulouse et cofondatrice de l’association « Izards Attitude », créée en 2013, après la mort tragique d’un jeune, suite à une fusillade. « 3 Ministres sont venus dans le quartier après le drame, l’État a mis des pansements, mais n’a pas soigné la souffrance. Sortir nos jeunes de la délinquance, mettre fin au décrochage scolaire, on s’est senti porteur de cette mission. On est allé à la rencontre des habitants, on a mis en place le soutien à la parentalité et l’aide scolaire. On ne peut pas effacer ce qui s’est passé, mais on a eu besoin de se retrouver, d’échanger sur les problèmes rencontrés et montrer qu’on peut s’en sortir ensemble. »
L’Institut Montaigne, dans une étude parue en juin 2022, dénonçait le sous-investissement public à destination des quartiers pauvres, soulignant un « manque d’1 milliard d’euros dans les quartiers sur les trois politiques publiques régaliennes : éducation, intérieur et justice » et présentant 31 propositions pour désenclaver ces derniers, pour un coût total de 300 millions d’euros. L’Institut affirmait également que « stigmatiser l’assistanat et l’oisiveté des habitants dans les quartiers populaires est non seulement une erreur factuelle mais également une faute républicaine ».
Faire société
Yamina et plusieurs mères du quartier nord ont donc relevé le défi : réduire la peur et recréer du lien ; parler aux jeunes, faire le pont entre eux et l’école, entre eux et le reste de la société. Être à leur disposition. « Aujourd’hui, on a un groupe whatsapp avec tous les jeunes du quartier et il y a toujours un adulte disponible, qui écoute et ne juge pas. On n’a eu aucune violence en juin dernier. 90 enfants bénéficient d’un accompagnement scolaire, 3 à 4 fois par semaine. Ecouter et porter le regard sur chacun d’eux, les considérer, parler avec eux, c’est participer à leur épanouissement. Notre but, ce n’est pas de nous substituer aux parents, mais de faire ensemble et de n’abandonner personne. » Aujourd’hui, « Izards Attitude » anime 5 lieux de rencontres et d’accompagnement scolaire et affiche des dizaines de projets culturels construits avec les jeunes, soutenue par l’association Tactikcollectif, association plus ancienne qui travaille sur l’histoire du quartier et assure une programmation culturelle à l’année « afin que les jeunes deviennent citoyens et qu’ils occupent l’espace public avec les habitants. » Le 10 octobre, « Izards Attitude », aujourd’hui soutenue par la Ville de Toulouse, fêtera ses dix ans en organisant notamment la 2e édition des Assises populaire de l’éducation, avec des familles, des professionnels, les écoles alentour et des jeunes qui ont fait carrière dans le sport et les études. « La Fondation a été avec nous dès le début, elle nous a fait confiance et nous a permis de nous dépasser, tous ensemble. »