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Loger sauve la vie

Le « logement d’abord » est aujourd’hui prôné par le Gouvernement. Est-ce un effet de mode ? Une réelle volonté politique ? Ce qui est certain, c’est que les acteurs associatifs n’ont pas attendu cet engouement et prouvent au quotidien qu’il est possible de loger durablement les personnes en errance.

« Mon logement, il est comme je suis dans ma tête. Parfois c’est le bazar, parfois ça va bien…  En tout cas, le vendredi, quand Mélanie et Kadda frappent à ma porte, je suis fier de leur ouvrir et de leur montrer comment je vis. Je n’ai pas honte. »

Nicolas n’a que 36 ans, mais déjà des années de galère derrière lui. Logé depuis 2 ans dans un studio de l’Association pour le logement des sans-abri (Alsa), il confie aujourd’hui qu’il a changé : « J’ai encore des progrès à faire, mais maintenant, je gère mon emploi du temps, je vais à mes rendez-vous et je me soigne. »  Ce matin de février, à l’espace communautaire de l’Alsa, une dizaine de bénéficiaires du « Logement d’abord » se retrouvent autour d’un petit-déjeuner offert par la banque alimentaire. Ouvert tous les jours de la semaine depuis 2 ans, ce lieu situé en plein cœur de Mulhouse permet de créer du lien, de partager ses émotions. Et des émotions, il y en a quand on s’installe dans un logement après 16 ou 20 ans de rue. Aujourd’hui, Mélanie Koffel, travailleuse sociale, est toute seule, Kadda Hadj-Abdelkader, le pair-aidant, est grippé. « Au début, j’avais tendance à vouloir tout planifier, il m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas imposer de rythme. Ce binôme m’enrichie beaucoup. »

Mélanie sort les croissants sortent du four et les distribue en prenant des nouvelles des uns et des autres. Charles demande à faire une machine pour un ami, Sandra voudrait amener son chien. Entre deux réponses, Mélanie questionne discrètement Nicolas sur le passage de l’infirmière. « Nous travaillons dans la durée et la confiance. Parfois, les personnes que nous accompagnons dans le logement restent 2 ans sans faire une démarche toute seule. Les premiers mois sont parfois très difficiles et le locataire teste nos limites. Mais à aucun moment nous ne remettons en cause son installation », précise Nour Ahmat Brahim, directeur de l’Alsa.

« Tous ont été exclus de partout »

Claudine Lagha, chef de service, enchaîne : « Les parcours de vie ne sont jamais linéaires. Certains ont fait de la prison, d’autres sont suivis en psychiatrie, d’autres encore ont des addictions… ce qui est certain, c’est que tous ont été exclus de partout. Or, chez nous, l’exclusion est impossible. C’est parfois dur à tenir, mais c’est notre démarche. » Une démarche résumée dans la clause de non-abandon inscrite dans les statuts de l’Alsa et qui permet aujourd’hui à 32 personnes – dont de grands exclus – de vivre dans leur logement depuis des années malgré leurs difficultés. « Notre plus ancien locataire est installé depuis 23 ans. Leur victoire, c’est justement de voir qu’ils se maintiennent dans le logement. Et puis, un jour, ils viennent partager un repas, laver leur linge, et là, c’est un événement planétaire ! », ajoute Claudine en riant.

Sans cette relation basée sur la confiance et le temps, le logement ne pourra pas jouer son rôle. Kadda, pair-aidant, le sait aussi bien que ceux qu’il entoure. « Je connais la rue et ce qu’elle fait et sans que je leur dise, ils le sentent et me font confiance. Ils savent qu’ils peuvent se confier et que je comprendrai. Mais en même temps, je ne suis pas leur pote, je suis un travailleur social, même si mon passé me donne un jugement différent. À l’espace, on évite l’isolement. Ce lieu aide à maintenir le cap, pour eux comme pour moi, car j’ai encore des étapes à franchir aussi. Il y a une reconnaissance mutuelle qui fait du bien à tout le monde. » Autre spécificité de l’Alsa qui compte aujourd’hui 112 salariés, la complémentarité de ses services. « Nous avons une équipe de manutention et une autre pour le gros œuvre en bâtiment ; elles sont très réactives et interviennent tous les jours. Cela permet une véritable relation de confiance », ajoute Nour. Et cette confiance s’étend bien au-delà du locataire. « Dès le départ, nous expliquons aux bailleurs privés tout l’accompagnement qui est mis en place, sans rien cacher de la difficulté. » Cette sincérité porte ses fruits : aujourd’hui, l’Alsa possède un parc de 123 logements loués dans la durée et a réussi à imposer ses prix, bien en dessous du marché locatif mulhousien.

Ouvrir sa porte

Dernier atout de l’Alsa, les visites collectives à domicile organisées tous les 15 jours. Depuis 10 ans, la « tournée vespérale » fonctionne ainsi :  de 18 à 23 heures, un administrateur, un cadre et 2 travailleurs sociaux se rendent chez les locataires, sans autre enjeu que de prendre des nouvelles. « On goûte la soupe qui mijote, on voit comment les gens vivent. C’est un moment de partage unique », confirme Nour. Et lorsque l’on aborde le sujet à l’espace communautaire, les réponses fusent : « ça aide quand on est un peu à côté de ses pompes »…. « finalement, on prend vite le pli d’avoir un logement et d’ouvrir sa porte »« Moi, quand je n’ai pas envie d’ouvrir, je n’ouvre pas. J’aime bien car on me laisse aussi tranquille. » Ne pas forcer, laisser à chacun le temps de s’approprier cette nouvelle vie dans le logement, cet espace clos et intime qui peut parfois isoler ou même étouffer.